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Un printemps à Tchernobyl - Emmanuel Lepage

Il y a 35 ans, jour pour jour, le réacteur n°4 de Tchernobyl explosait
. Comme moi peut-être, lorsque tu penses à ce 26 avril 1986, tu te sens microscopique. Tu tentes d'imaginer cette ultime seconde où tout a basculé, plaçant aujourd'hui Tchernobyl dans une bulle hors du temps et de tout espace. Tu peux te plonger dans des reportages, des podcasts, des photographies, des tableaux, mais tu te sens toujours à côté. Le plus grave accident nucléaire du XXe siècle, situé à près de 3000 km. C'est inimaginable. Loin, éloigné de notre quotidien, si proche, trop proche. C'est pour cela qu'Emmanuel Lepage, dessinateur, scénariste et coloriste de bande-dessinée, a accepté de s'y rendre en 2008 et de réaliser un reportage en dessin. Sur place, il rencontre les survivants des terres contaminées et leurs enfants.

Emmanuel Lepage est parti en zone interdite avec un collectif d'artistes militants, notamment pour réaliser un carnet de voyage et une exposition au profit de l'association Les Enfants de Tchernobyl. Cette association a été créée en Alsace peu de temps après la catastrophe et accueille chaque année environ 200 enfants issus de familles défavorisées et habitant les régions d'Ukraine et de Russie, touchées par les retombées de l'explosion du réacteur.
L'auteur fait preuve d'une modestie très intéressante dans Un printemps à Tchernobyl. Nous n'y trouvons pas seulement un documentaire sur la catastrophe, ce qu'il en reste et celleux qui y restent, c'est aussi tout un chemin introspectif. L'auteur nous montre d'abord ses questionnements avant le départ, sous de premières cases grises, noires et ocres. Après tout, est-ce que ça vaut le coup de mettre toute sa vie en danger pour passer de témoin à acteur ? Derrière le dessin, nous voyons les premiers tests médicaux, les réactions de ses proches et les premières recommandations avant le départ (notamment ce qu'il peut ou ne peut pas consommer sur place).

« Un printemps à Tchernobyl », c'est curieux, non ? Ce titre est le reflet du cheminement de l'auteur une fois sur place. Comment représenter l'impalpable, ces particules fines et invisibles ? Comment expliquer le relâchement progressif de ses préjugés, pensant défier la mort avant d'assister à des moments terrifiants de vie ? Les enfants, les fêtes, l'alcool, la précarité, le travail, la crainte, la vie, l'art, l'économie, la nature... Vaste, précis, particulier, incisif.
Habituellement, j'essaie d'avoir une écriture structurée mais aujourd'hui, c'est impossible. Qui suis-je pour te dresser une liste de qualités et de défauts sur une bande-dessinée qui fait six fois ma taille (j'exagère un peu) et qui dépeint une immense catastrophe nucléaire ? Cette bande-dessinée, elle est intense, évidemment. Une fois la tête dedans, j'ai eu envie de tout lire d'un coup puis de m'arrêter soudainement, analyser chaque trait puis faire défiler les pages. Se retrouver le nez dans une telle réalité est glacial. La sensibilité de l'auteur et sa transparence rendent son texte et ses images aussi forts que fragiles. Nous passons de cases sombres à des planches lumineuses tintées de vert, d'instants figés à des moments de vie chatoyants. Le trait d'Emmanuel Lepage est inventif et percutant.

Cette bande-dessinée documentaire au titre intriguant et à la couverture luxuriante a été écrite, dessinée et colorisée par Emmanuel Lepage puis publiée aux éditions Futuropolis. Elle coûte 25,50€.

C'était Léa pour Sapristea,
À toi les studios.


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